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Ecrits portant sur les oeuvres de Njoh Mouelle

Jalons II ( l'africanisme aujourd'hui )

 Un certain africanisme(1)
 Les limites du moralisme(2)
 Sur la sagesse des proverbes
 Littérature passéiste…

UN CERTAIN AFRICANISME (p.11-12)

« Il faut, à cette occasion, comme aux occasions historiques antérieures, distinguer soigneusement entre les intérêts de l’Afrique et les intérêts en Afrique. Il se révèle à l’examen qu’une fois de plus, l’Afrique ne peut que servir de vache à lait à des non-Africains qui n’ont qu’une idée bien à eux : tirer profit de l’Afrique inconnue et méconnue. Et pour cela, il fallait aller vite ; être le premier sur le terrain de peur d’avoir à répéter les autres ou d’enfoncer des portes déjà ouvertes. De là le caractère principalement narratif des premiers écrits et le défaut de toute systématique. De là aussi leur tendance à dépeindre le passé de l’Afrique sous les traits d’un véritable paradis où tout n’était qu’ordre, beauté et béatitude. De quoi flatter les Africains naïfs et avides de réhabilitation ! On a souvent dit, à tort ou à raison, que l’Africain n’avait pas le sens de l’autocritique. Comment ne pas voir que l’extrême complaisance des africanistes de cette nature ne pouvait que contribuer à endormir les consciences des Africains en leur laissant croire que tout était devenu subitement parfait dans leurs civilisations ? C’était contribuer à aggraver cyniquement la psychopathologie de la vie coloniale en induisant les efforts des Africains eux-mêmes dans le sens d’un « contre-exotisme qui, malheureusement, se situe lui-même dans l’exotisme », pour reprendre la formule de René Ménil. Cet africanisme là sert très peu les intérêts de l’Afrique et ce n’est pas assez dire. »

Njoh-Mouelle
JALONS II, 1975 pp.11-12

 

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LLIMITES DU MORALISME :Jalons II, ( L’africanisme aujourd’hui) pp.9-10

« De nombreux « damnés de la terre », cependant, fondent encore l’essentiel de leurs espoirs sur la reconnaissance de leur personnalité africaine et sur la puissance moralisatrice des discours. A une stratégie de la froide et sèche raison, ils entendent n’opposer qu’une naïve stratégie du sentiment qui mise sur les effets plus qu'hypothétiques de la mauvaise conscience. Cela ressemble merveilleusement bien à du somnambulisme politique dans un monde et devant des adversaires immunisés contre toutes sortes de microbes de la moralité, endurcis et âpres jusqu’au bout des ongles.

L’on parle beaucoup de ce que l’Afrique a apporté et doit apporter au monde en fait de valeurs humanisantes. L’africanisme des Africains s’imagine d’ailleurs que là réside sa mission fondamentale. Et on vous refouille le passé et les ruines, on brandit la négritude, on ressuscite les empires et les royaumes pendant que ceux pour qui on le fait, bien qu’on s’en défende, continuent de régenter le monde selon les valeurs et normes en cours. Comment s’étonner que par la suite, les fossés existants ne se transforment jour après jour en gouffres insondables ! Comment s’étonner que l’Afrique se plaigne de s’appauvrir constamment pendant que les riches de toujours continuent de s’enrichir ? C’est que le combat des Africains se porte sur un mauvais front : celui de la perpétuelle demande de reconnaissance. Savoir s’organiser, voilà ce qu’il faut que l’Afrique apprenne aujourd’hui. ».

Njoh-Mouelle
JALONS II ( L’africanisme aujourd’hui) 1975 pp. 9-10

 

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Sur LA SAGESSE DES PROVERBES : Jalons II, p42-44 ; 45-46

« Tous ces proverbes parlent généralement à l’indicatif, c’est-à-dire décrivent ce qui est, un ordre des choses qui est là et qui se donnerait comme à prendre ou à laisser. Et le proverbe congolais qui nous invite à traiter chacun selon qu’il est vin doux ou eau pourrie ne parle pas moins à l’indicatif, en dépit des apparences d’impératif car le fait sur lequel on insiste sans le dire d’ailleurs, est que l’au pourrie c’est de l’eau pourrie et le vin doux, du vin doux. Il faut s’en tenir à cet état des choses et ne pas chercher à transformer l’eau pourrie en eau potable, ni encore moins en vin doux. Ce dont il est question dans les proverbes, c’est indiscutablement du savoir. Et c’est ce savoir qui se laisse présenter souvent sous l’étiquette d’une sagesse. Mais le savoir en lui-même est une chose ; l’attitude des hommes vis-à-vis de ce savoir est une autre chose. Quelle est cette attitude ? Généralement c’est une attitude de conformité à l’égard de ce qui est. « Quand un fruit tombe de l’arbre, il ne retourne plus sur celui-ci ». C’est exact. A-t-on jamais vu une mangue détachée de sa branche reprendre le chemin de l’arbre ? Cette loi de l’irréversibilité nous est présentée ici sous sa forme implacable comme sont implacables les lois du monde physique. On a l’impression, fondée, qu’ici, le savoir de ce qui est, devient le savoir de ce qui doit être. Parce que le fait est que la terre tourne autour du soleil et autour d’elle-même, il faut qu’elle tourne autour d’elle-même et autour du soleil pour que nous ayions des jours, des nuits, des saisons. La vérité contenue dans les proverbes est une vérité de fait mais, subrepticement, elle a toujours eu tendance à se transformer en vérité de droit ; elle s’identifie avec le réel. Ici, le vrai c’est le réel et, réciproquement, tout ce qui est réel est vrai. De là la tournure concrète des proverbes. Chaque vérité proverbiale s’exprime, non pas en termes abstraits, en notions élaborées et générales, mais tend au contraire à se laisser incarner dans un cas concret, sorte de paradigme de tous les cas semblables. Quand les Dogons disent par exemple que « l’abeille qu’on met de force dans une ruche ne fera pas de miel », on voit qu’ils parlent d’abeille sans en parler tout à la fois.

Tout se passe dans les proverbes comme s’ils voulaient donner la vérité à voir avec les yeux, non de l’esprit, mais du corps. Dans ces conditions, les proverbes n’expriment qu’une partie de la vérité : celle qui ne peut être découverte qu’empiriquement et qui se laisse confondre avec le réel. Or, ce ne pouvait être avec les yeux du corps qu’il fallait voir les relations entre planètes, la composition de l’air, l’origine des maladies, par exemple. Aucun proverbe, ni africain, ni japonais, n’a exprimé la loi de la gravitation universelle et ne saurait d’ailleurs l’exprimer, même après coup……

Je voudrais pouvoir affirmer que le savoir proverbial, pour cette raison qu’il ne se préoccupe pas de la démarche fondatrice, n’a rien de philosophique. Et c’est pour cette raison que je me crois fondé à affirmer que le développement appelle un autre type de savoir, celui-là qui, parce qu’il accepte de se voir remis en question, laisse grande ouverte la porte de toutes les inventions possibles. Ce dont le développement a besoin, c’est bien moins de sagesse d’ailleurs que de créativité et d’ingéniosité. Car la sagesse elle-même n’est rien, je veux dire rien de palpable, intellectuellement comme matériellement…Or la sagesse proverbiale, si sagesse il y a, suppose que tout est donné, que tout est ordonné, aujourd’hui et pour toujours. Or si tout était donné pour toujours nous ne parlerions pas de sous-développement. Le développement implique l’absence d’un donné et ce donné doit être construit en toute liberté ».

Njoh-Mouelle
JALONS II (L’africanisme aujourd’hui)1975
pp.42-44 ; 45-46


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LITTERATURE PASSEISTE ET LITTERATURE DE DEVELOPPEMENT

C'est une extrême naïveté de s'imaginer que les autres nations renonceront à leurs intérêts primordiaux pour prendre fait et cause pour les intérêts de l'Afrique et cela parce qu'ils auront entendu les leçons de morale d'une certaine littérature africaine. Il s'agit aujourd'hui du développement de nos pays et non plus de leurs indépendances. Nos attitudes, quand nous nous battions pour gagner l'indépendance politique de nos pays ne peuvent plus être strictement les mêmes aujourd'hui, où nous nous battons contre la pauvreté et pour l'amélioration de nos conditions d'existence. Si je parle d'attitudes, c'est parce que précisément, la littérature ne manifeste son influence qu'à ce niveau. Les idées qu'elle fait circuler, les schèmes de comportement qu'elle diffuse, les conflits qu'elle exprime et toutes sortes de visions du monde qu'elle fait éclore sont indiscutablement déterminants dans la vie quotidienne des hommes. C'est ainsi que des attitudes de passivité et d'irresponsabilité peuvent être déterminées par une littérature passéiste, faite principalement de ressentiments et d'autosatisfaction. Comment ne pas voir qu'une telle littérature est irrémédiablement réactionnaire et agit contre le développement ?

La littérature peut parfaitement se révéler réactionnaire et retardatrice par rapport aux exigences de transformation et de progrès. Mais chacun sait également que cette même littérature peut être révolutionnaire quand, à travers les visions du monde qu'elle élabore et les attitudes qu'elle induit, elle se pose en fossoyeuse des mondes de distorsion et de laideur réellement et actuellement existants. Ainsi fut la littérature négro-africaine d'avant 1960 qui, contrairement à ce que beaucoup croient encore, ne saurait être la littérature révolutionnaire d'aujourd'hui et pour la bonne raison que la révolution d'hier a toujours comme vocation à peu près inéluctable de devenir la réaction d'aujourd'hui.

Les diverses croyances et convictions d'un peuple sont entretenues et renforcées par la pratique quotidienne certes, mais aussi par la littérature, qu'elle soit écrite ou orale. Et nous savons que ces croyances et convictions influent sur notre comportement au sein de la communauté. Faut-il revenir sur les exemples que j'ai déjà cités dans " De la médiocrité à l'excellence * et qui illustrent le blocage qui peut être imposé au développement par des visions de monde et des croyances caractéristiques d'un état précis des mentalités ? La littérature est responsable des mentalités et ces mentalités sont responsables du développement en tant que celui-ci est l'affaire des hommes concrets, vivant dans des conditions déterminées et participant à des visions non moins déterminées du monde. C'est pourquoi je dis que la littérature aussi, quoi qu'en pensent ceux qui ne veulent espérer qu'en la seule science peut servir le développement, quand elle n'est pas une littérature réactionnaire.

Une littérature au service du développement sera donc tout le contraire d'une littérature de constat. Si, en tant que superstructure elle peut influer sur l'infrastructure économique, c'est dans la mesure où elle ne se contente pas de prendre acte de la production des biens de consommation et de l'ordre moral existant, mais injecte dans les préoccupations des hommes d'action et des responsables du développement le souci de la valeur. La véritable littérature engagée est celle qui ne transforme pas le fait en droit mais tente de légiférer sur le fait en proposant une vision corrective de la réalité ambiante. Mais que faut-il entendre par souci de la valeur ?On aura vite fait de me rétorquer que l'automobile est une valeur, le maïs, la pomme de terre, l'électricité, etc. sont des valeurs immédiatement perçues comme telles par chacun de nous. .Et bien entendu si l'on s'engage dans cette voie des valeurs pratiques on ne peut que rencontrer une véritable inflation des valeurs auxquelles il faut nécessairement trouver une commune mesure. Comment ne pas se rendre compte que les valeurs pratiques sont nécessairement relatives et contingentes ? Avant l'électricité, la lampe à huile était aussi une valeur ; elle le demeure d'ailleurs pour les villageois qui ne cessent du reste pas d'envier le sort des citadins. Si l'automobile est une valeur ici, l'âne ou le cheval ou le dromadaire sont également des valeurs là-bas. En réalité donc, la vraie valeur est celle à laquelle toutes celles-là sont subordonnées :l'épanouissement total de l'homme, sous quelque cieux qu'il vive. Aujourd'hui en Afrique, nous connaissons, bien davantage qu'une inflation, une véritable crise des valeurs. Et cette crise concerne davantage les valeurs morales que les valeurs ustensiles du genre de celles que j'ai énumérées. Les ancêtres sont-ils, oui ou non, définitivement morts ou subsistent-ils dans notre environnement quotidien ?Les uns croient encore que les morts ne sont pas véritablement morts. Ce sont ceux-là qui opposeront à un projet de développement une résistance farouche qui, ainsi qu'on peut le deviner, puise toute sa force dans les tréfonds de la personnalité totale de ceux-là. Alors nous verrons échouer un projet de dragage du lit d'un fleuve sous prétexte que les esprits des morts-vivants y reposent.

Ce texte est extrait de la conférence du 14 Nov 1973 intitulée :
Littérature et développement et intégré dans Jalons II p 58-60

 

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