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Breve Autobiographie Intellectuelle

Souvenirs d'école de base

              Quand je reviens à Bonabéké je me sens chaque fois envahi par un sentiment, toujours le même. Le sentiment de me trouver dans une sorte de  rétrécissement de l’espace jadis perçu par mes yeux d’enfant comme l’Univers tout entier ! L’école primaire de la Mission Protestante Française de Bonabéké, celle que j’ai fréquentée du Cours Préparatoire au Cours Moyen Première Année et que dirigeait mon père Charles Mouellé, occupait en effet  un « espace-univers » que j’ai du mal à retrouver aujourd’hui. Serait-ce parce que la petite case en tôles qui a abrité la famille Mouellé pendant ces années a disparu du paysage emportant avec elle tous ces moments de prières en famille, de repas pris ensemble, et de tas d’autres histoires de famille ? Elle n’est pas la seule à avoir disparu. Ont également disparu du paysage les cases des évangélistes Eben et Kouo qui se trouvaient dans la continuité de la nôtre. Le chantier de la nouvelle église en a pris globalement la place.

         Il est aussi vrai que le mouvement de va-et-vient d’une population essentiellement mobile, celle des élèves arrivant dans le campus comme une marée montante le matin pour en repartir en marée descendante le soir devait ajouter au grossissement de la taille de cet espace mien. L’effet de ruche bourdonnante à certaines heures de la journée, notamment les périodes de recréation et de pauses de midi – quatorze heures, les fortes clameurs montant des nombreux terrains improvisés de football contribuaient à donner une enflure supplémentaire à ce monde, petit en réalité, comme nous l’étions nous-mêmes, mais si grand dans nos représentations, nos sensations, et nos imaginations.

         J’ai envie de dire qu’il y avait de la vie en abondance dans cet univers. J’aimais particulièrement les moments des longues processions d’élèves marchant au pas cadencé et chantant de belles harmonies que leur enseignaient les musiciens de l’école. La plupart des maîtres de notre école avaient appris le solfège et jouaient souvent d’un instrument. Si mon père jouait de l’harmonium, Monsieur Mbimi, celui-là même qui m’a tenu au cours moyen Première année, jouait de la mandoline. Toute l’école défilait ainsi le lundi matin pour se rendre dans la chapelle à l’occasion du service religieux d’orientation spirituelle et morale des activités de la semaine. Il existait bien d’autres moments de respiration chantée de plein air. J’aimais grandement ces moments-là qui correspondaient ou semblaient correspondre à une sorte de mise au diapason de toute la communauté scolaire.

         J’ai parlé de l’impression de rétrécissement de l’espace ; je dois dire que c’est au niveau de la chapelle que je l’ai ressentie encore plus fortement plusieurs années après. Elle m’avait toujours paru très grande. Après tout, n’absorbait-elle pas la totalité des effectifs de l’école pendant le culte des lundis et surtout lors des veillées de la fête de Noël ? C’est dire, pendant que j’y pense aujourd’hui, que les effectifs de l’école n’étaient peut-être pas si importants que le grouillement et le bourdonnement quotidiens des heures de détente pouvaient le laisser croire. A bien y réfléchir une seconde fois, quand je pense que chaque niveau ne comptait pas deux mais une seule classe, je me dis que décidément la relation de l’enfant à l’espace est très significativement conditionnée par le fait qu’il est encore « un petit » qui deviendra grand. Tandis que le petit voit tout « grand » autour de  lui, le grand - adulte est celui qui remet chaque chose dans sa vraie dimension.

         Nos classes étaient loin d’être surchargées,  ce qui présentait l’avantage de faciliter le rythme de correction des compositions et autres épreuves des contrôles des vendredis conduisant à un nouveau classement et à une nouvelle distribution des places sur les bancs. Tous les lundis en effet, on  affectait à chaque élève la place que la note obtenue au contrôle de vendredi pouvait lui valoir. Les premiers occupaient les premiers bancs, plus près du maître, tandis que les moins méritants étaient envoyés s’asseoir sur les derniers bancs.

         Sur cette manière de procéder il y a eu des avis opposés ; en effet certains pédagogues estimaient que ce sont les moins bons élèves qu’il fallait asseoir sur les premiers bancs et envoyer les meilleurs au fond de la classe. Leur argument consistait à dire qu’en envoyant au fond de la classe les moins bons on les condamnait plus ou moins à persévérer dans leurs mauvais résultats. Ici, à Bonabéké, la règle n’avait pas changé avant le départ de tous ceux de ma génération. On continuait de réserver les premiers bancs aux premiers et meilleurs élèves  de la classe.

         Pour avoir démarré ma scolarisation en langue douala, j’ai le sentiment, comme bien d’autres, d’avoir fait le cours préparatoire deux fois d’affilée sans qu’il se soit agi d’un quelconque redoublement. Seulement, après avoir appris à compter et à lire en langue douala, il a fallu le faire en français. On ne peut cependant pas dire que ce fut strictement le même programme ; il n’empêche que ce système a allongé la durée de notre scolarité primaire en comparaison avec la durée de cette même scolarité à l’école publique encore appelée « école officielle ». Les pédagogues de la Mission protestante française ont estimé que ce système permettait la confirmation d’un enracinement préalable dans la culture locale. Enracinement destiné à réduire les effets d’un déracinement de ceux qui ne pouvaient rien appréhender de palpable quand on devait leur parler d’hiver froid, de flocons de neige, de printemps aux arbres bourgeonnants ou encore de feuilles mortes de l’Automne ! C’est pourquoi nous avons eu à passer par les livres de lecture et de leçons de choses en langue douala tels que le « Nimèlè bôlô » et le « Bona nyama na mbota ». Qui ne se souvient de la brève et affectueuse lettre qui est l’un des plus beaux textes par lequel se clôt le « Nimèlè bôlô » et qui s’intitule «  Kalati Makonge a tiledinô nyango », (La lettre de Makongue à sa mère) ; « Iyo nya ndolo, o si panè mulema onyol’am.. » ; de la belle langue douala écrite par de brillants pédagogues et de bons connaisseurs de la langue et de la culture douala.

         En réalité je ne regrette pas d’avoir suivi ce chemin même s’il laissait l’impression de créer du retard aux élèves des « écoles de la Mission ». Retard ici ? Avance là-bas ? Tout cela n’est-il pas apparu dans toute sa relativité par la suite ? Le fait est qu’à « l’école  officielle » tout comme à l’école privée confessionnelle, nos livres de lecture étaient les mêmes, « Mamadou et Bineta », « Mon Ami Koffi » ou encore « Moussa et Gigla ». Les textes de René Maran étaient écrits dans une si belle langue française ! Jules Davesne, comme les autres inspecteurs L. Sonolet ou A. Pérès qui sont les auteurs de  « Moussa et Gigla » n’avaient pu planter leur décor qu’en Afrique Occidentale française où ils avaient exercé en qualité d’inspecteurs de l’enseignement primaire français. Si le théâtre des opérations était l’Afrique, fût-elle plus largement occidentale, l’idéologie était celle de la francophilie prônée par ces inspecteurs coloniaux chargés de faire admirer et aimer la France par les petits nègres.

         Les souvenirs sont désormais si lointains et Bonabéké n’a pas manqué de subir l’exode de ses populations vers Douala. Il n’empêche, Bonabéké a abrité une école dont toute l’histoire mérite d’être contée. A l’époque, je parle donc de la fin des années quarante et du début des années cinquante, ce gros village était fier de son école. Ce gros village vivait à l’image du tout Yabassi, lieu de rencontre de nombreux fonctionnaires de la période avant l’Indépendance.
  La dimension religieuse de notre école d’antan était ce qui lui donnait ce « supplément d’âme » qui continue de la faire vivre dans nos esprits.

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